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Le “Spect-Acteur” de l’art immersif

Dernière mise à jour : 14 oct.

Comment faire vivre de nouvelles expériences sensorielles ?

Diamond Matrix - Studio Irma - Gallerie Moco


Ce que j’aime, dans une œuvre, c’est la contempler, plonger dans son univers et me créer une histoire, faites de l’alchimie mes perceptions, de la technicité et de la démarche de l’artiste. Mais comment peut-on se sentir encore plus impliqué encore ? Et si, protéger dans les bras d’une galerie ou d’un musée, nous plongions dans l’œuvre, totalement, jusqu’à faire parti de ce tout. Comme Alice qui chute dans un terrier de lapin, lentement, pour découvrir dans un monde onirique fascinant et absurde, et si nous vivions l’art ? Cette idée d’inclure toujours plus le spectateur en tant que “spect-acteur”, que ce soit dans sa propre représentation dans l’oeuvre, ou dans l’ampleur de l’évasion onirique qu’on lui attribue, est très appuyée, de nos jour, par l’émergence des technologies immersives. Et si nous allions au-delà de la contemplation et de l’admiration pour aller dans l’immersion ?

Mais alors, qu’appelle-t-on “Technologies immersives” ? Ces technologies visent à simuler une “réalité alternative ou augmentée” en utilisant divers dispositifs pour stimuler les sens et créer cette “sensation d’immersion”. Elles ont la capacité à créer des expériences dans lesquelles l’utilisateurs est entièrement (ou partiellement) immergé dans un environnement artificiel.


J’aime à penser que rendre les “Spect-Acteurs” est une nouvelle manière d’interagir avec l’Art, et que les technologies immersives sont des outils puissants pour leur offrir des expériences plus profondes et engageantes. Cette fusion de l’art et de la technologie ouvre le champ des possibles et des nouvelles perspectives pour la perception artistique et la créativité.



L’Art & la Technologie, une véritable histoire

Dès les années 60 et 70, des artistes commencent à expérimenter avec l’art numérique et interactif, posant les bases de l’art immersif. Parmi ces pionniers, Nam June Paik, considéré comme le fondateur de l’art vidéo. Il avait capté très vite l’impact de la télévision sur notre monde.

Electronic Superhighway (1995) - Nam June Paik

« Marcel Duchamp a tout fait sauf la vidéo. Il a fait une grande porte d’entrée et une toute petite porte de sortie. Cette porte-là, c’est la vidéo. C’est par elle que nous pouvons sortir de Marcel Duchamp. » - Nam June Paik, 1975

Dans les premiers pas de l’immersif, Myron Krueger, considéré comme un “artiste informatique”, a développé les premières oeuvres interactives. Dans l’oeuvre “Videoplace”, la performance consiste à connecter deux espaces pouvant se trouver dans le même bâtiment ou à l'autre bout de la planète. Lorsqu'un participant entre, il se voit immédiatement projeté sur un écran en face de lui, ainsi que la projection de toute personne se trouvant dans l'autre pièce. Les deux participants voient la même image. Le participant peut déplacer son image sur l'écran en se déplaçant lui-même et peut également interagir avec l'image de l'autre participant. L'image de l'un ou l'autre participant peut être redimensionnée, tournée, changer de couleur, et ils peuvent également interagir avec des objets totalement virtuels.

Videoplace (1978)- Myron Krueger - source

"La beauté de la réponse visuelle et auditive est secondaire. La réponse est le moyen" - Myron Krueger

Bien que cette oeuvre peut évoquer un souvenir proche : le portail vidéo qui reliait, en direct, New York à Dublin en 2024, “Videoplace” a vu le jour en 1970. Il y avait déjà une volonté de concilier art et technologie, mais le développement des technologiques et les importants progrès techniques ne vont donner que plus de possibilités créatives.



Les différents types d’expériences immersives

Les technologies immersives donnent accès à de nouveaux potentiels d’expériences : créer des univers entièrement ou partiellement virtuelle, pour développer de nouvelles sensations et élargir les champs de la créativité, développer l’interactivité des œuvres, en créant de nouveaux dialogues entre spectateurs et art, et cela, au travers de divers dispositifs pour stimuler les sens et créer une sensation d’immersion.


Quelles sont les principales catégories de technologies immersives ?


  • La Réalité virtuelle (VR) : La VR est une expression qui désigne les dispositifs permettant de simuler numériquement un environnement par la machine (ordinateur). Selon les technologies employées, elle permet à l’utilisateur de ressentir un univers virtuel par le biais de ses différent sens : la vue le plus souvent mais aussi le toucher, l’ouïe, l’odorat. Elle crée un environnement entièrement numérique dans lequel l'utilisateur peut se déplacer et interagir. Elle utilise souvent des casques VR (comme l'Oculus Rift ou le HTC Vive) pour plonger l'utilisateur dans un monde 3D.


  • La Réalité augmentée (AR) : L’AR superpose des éléments numériques (images, sons, vidéos, etc.) sur le monde réel. C’est une technologie qui permet d'intégrer des éléments virtuels en 3D (en temps réel) au sein d'un environnement réel. Le principe est de combiner le virtuel et le réel et donner l'illusion d'une intégration parfaite à l'utilisateur. Les applications de réalité augmentée utilisent souvent des smartphones ou des tablettes (comme Pokémon Go) ou des lunettes spécialisées (comme les Google Glass).


  • La Réalité mixte (MR) : Combine des éléments de la VR et de l'AR pour permettre une interaction plus complexe entre les objets réels et virtuels. La MR permet aux éléments virtuels de coexister et d'interagir avec le monde réel de manière plus intégrée (comme Microsoft HoloLens). La principale différence entre la réalité augmentée et la réalité mixte est la capacité du casque à prendre en compte l’espace réel , et ce, grâce aux capteurs intégrés au casque. La position de l’utilisateur est également calculée en temps réel. Il s’agit d’une version améliorée de la réalité augmentée. De plus l’ensemble permet interagir physiquement avec les éléments en 3D grâce à une série de gestes à effectuer. Plus simplement, une couche de virtuelle se plaque sur le réel.


  • Les Technologies haptiques : Elles ajoutent des sensations tactiles pour simuler la sensation de toucher dans un environnement virtuel ou augmenté. Cela peut inclure des gants ou des combinaisons haptiques qui permettent de ressentir des textures et des pressions. Elles permettent de donner à l’utilisateur la sensation de toucher les objets virtuels comme s’ils étaient réels, en lui envoyant des signaux physiques telles que la pression, la texture, le poids, la résistance et la vibration.


  • L’Audio spatial : Il utilise des technologies sonores pour créer une expérience audio immersive, où les sons semblent provenir de différentes directions, ajoutant une couche supplémentaire de réalisme à l'environnement virtuel ou augmenté.


  • Le Cinéma 4D et attractions immersives : Ils intègrent des effets physiques dans l'environnement pour renforcer l'expérience immersive. Cela peut inclure des sièges mobiles, des jets d'air, des parfums, etc., souvent utilisés dans les parcs d'attractions (comme les Cinémas 4D du Futuroscope, par exemple).



L'avènement de l'art immersif

Dans les années 80 et 90, les progrès techniques importants amène à la démocratisation des ordinateurs personnels. Cet essor, suivi des avancées en graphisme 3D, puis en réalité virtuelle en 2000, va alors permettre la création d'oeuvres d'art plus sophistiquées et immersives.


L'art et la Réalité Virtuelle

Précurseur dans la réalisation d’œuvre VR interactive, Jeffrey Shaw a livré une expérience nouvelle, en 1989, nommée “The Legible City”. Dans cette installation, le visiteur a la possibilité d’entreprendre, en pédalant sur un vélo placé dans une salle obscure, un trajet virtuel à travers des images the synthèse projetées des villes de Manhattan, Amsterdam et Karlsruhe.

The Legible City - Jeffrey Shaw (1989)


Par la suite, dans les années 2010, Laurie Anderson va réaliser des expositions en VR. “The Chalkroom”, une œuvre de réalité virtuelle, comprenant une série de salles avec des murs recouverts de dessins et de textes à la craie, entouré d’un assortiment de dispositifs de narration interactifs, en collaboration avec Hsin-Chien Huang. Elle et son équipe ont cartographié la salle virtuelle de sorte que lorsque vous enfilez le casque VR, le spectateur commence dans un endroit familier. Mais très vite, il se sent alors glisser dans un labyrinthe de pièces, alors que des morceaux d’histoire défilent sous ses yeux et à ses oreilles…

The Chalkroom - Laurie Anderson (2018)


En 2018, Marina Abramović cherche à sensibiliser sur les effets du changement climatique en transportant les téléspectateurs de sorte à ce qu’il assiste à la montée du niveau de la mer… Cette oeuvre, “Rising”, transporte les spectateurs, par le biais d’un casque immersif, dans un espace virtuel intime où ils rencontrent l’artiste. elle leur fait signe depuis un réservoir en verre, qui se remplit lentement d’eau, allant de la taille à la nuque. Les utilisateurs sont invités à entrer en contact avec l'avatar de l'artiste, puis à se retrouver entourés d’une scène dramatique de fonte des calottes polaires. Elle exhorte les téléspectateurs à reconsidérer leur impact sur le monde qui les entoure, leur demandant de choisir de la sauver ou non de la noyade en s'engageant à protéger l'environnement, ce qui permet de faire baisser la quantité d'eau dans le réservoir.

« Quand j'ai découvert la réalité virtuelle, j'ai compris que les possibilités étaient énormes » - Marina Abramović

Rising (2018) - Marina Abramović

Pour réaliser l’œuvre, les développeurs d’Acute Art ont capturé les expressions faciales uniques de l’artiste afin de créer un avatar réaliste. Par le biais des nouvelles technologies, Marina a pour but de transmettre virtuellement la présence de l'artiste, “Rising” permet aux utilisateurs d'interagir directement avec l'artiste. La célèbre artiste de performance révèle le processus derrière Rising, un jeu interactif qui permet aux joueurs de décider si elle-même et la planète survivront.



En 2021, aux Serpentine Galleries, l’artiste Cao Fei présente l’oeuvre “The Eternal Wave”, en réalité virtuelle. Cette œuvre fait suite aux précédentes œuvres numériques immersives de l'artiste, telles que “RMB City” (2007), créées et exécutées dans le monde virtuel 3D en ligne, Second Life. Une exploration continue de la virtualité, de la réalité et de la perception de soi en relation avec la technologie. la perception de soi en relation avec la technologie, le travail de Cao Fei s'étend sur les thèmes de l'automatisation, du travail et de la domesticité. Une expérience profondément immersive, visuellement et littéralement le spectateur est entraîné dans les profondeurs de l'univers créatif de l'artiste de l'artiste. Une œuvre interactive en RV, le spectateur est un participant et un joueur, jouant un rôle dans la production de l'artiste.

The Eternal Wave (2021) - Cao Fei


Acute Art a collaboré avec l'artiste sur une version de réalité augmentée de l'espace cuisine dans lequel commence The Eternal Wave. Poursuivant l'exploration par l'artiste des possibilités virtuelles, cette nouvelle itération du projet répond au moment présent en passant du casque VR à l'écran du smartphone, une expérimentation de la technologie qui reflète une réalité différente de celle dans laquelle l'exposition a été inaugurée.

Les spectateurs peuvent utiliser leur smartphone pour explorer l'installation en tapant sur les objets et les meubles pour activer l'environnement de différentes manières.


Vers la Réalité Augmentée

Tout comme "The Eternal Wave", Marina Abramović a collaboré avec les développeur de Acute Art pour réaliser une application téléchargeable sur un mobile pour représenter "The Rising" en dehors d'un casque de VR.


Connu pour ses grandes installations qui explorent la perception et l'expérience de la nature, Olafur Eliasson a utilisé la réalité augmentée (AR) dans des projets comme "Wunderkammer" (2020) (littéralement Cabinet de curiosités) pour apporter des éléments naturels dans des environnements virtuels.


Wunderkammer (2020) - Olafur Eliasson


Tous ces mirages nés de la réalité augmentée, l’artiste dano-islandais Olafur Eliasson propose de se les approprier. Il allie la fascination des trésors et des phénomènes terrestres qui a nourri l’histoire de l’art et des collections, et la technique numérique la plus pointue.



En passant par les installations interactives

"Arrêter la pluie comme par magie, slalomer entre les gouttes sans jamais se faire mouiller." Le "studio Random International" a su l'exaucer. Entre les quatre murs de leur "Rain Room", exposée pour la première fois en 2012 au Barbican Centre, à Londres, les visiteurs traversent des rideaux d’eau qui s’écartent sur leur passage, comme par enchantement.

Rain Room (2012) - Studio Random International


Un collectif japonais connu pour ses installations immersives comme "Borderless", où les œuvres interagissent entre elles et avec les visiteurs. De son nom complet, teamLab Borderless : MORI Building DIGITAL ART MUSEUM cherche à plonger les visiteurs dans de nouvelles expériences immersives d'art numérique, et ce en plus des animations déjà existantes.

Il présente une cinquantaine d'œuvres numériques sont à voir, basées sur :

  • des paysages naturels existants comme les cascades d'eau ou les floraisons saisonnières ;

  • et sur l'exploration de notre monde cognitif avec des jeux de lumières, de couleurs et de sons qui forment d'intéressantes sculptures mouvantes.

Proliferating Immense Life - A Whole Year per Year - TeamLab


En novembre 2019, Rafael Lozano-Hemmer présentait sa nouvelle œuvre participative, "Border Tuner", installée à la frontière américano-mexicaine. Faisant suite à une interrogation de longue date dans le travail de l’artiste, celle des rapports entre le corps, la ville et la technologie, la situation frontalière de l’œuvre, particulièrement significative ici, invite à reconsidérer l’articulation entre les trois termes. L'oeuvre reconfigure et renégocie la ligne de partage entre les Etats-Unis et le Mexique par l'interface avec la technologie et sa mise en réseau.

Border Tuner (2019) - Rafael Lozano-Hemmer



Quel est l'impact de ces technologies sur le Public et l'industrie de l'Art ?

Avec les nouvelles approches qu’apportent avec elles les technologies immersives, il est clair que de nouvelles formes d’interaction émerge de la créativité des artistes. Elles permettent au public de devenir plus que des observateurs passifs, elle les invite à devenir des participants actifs. Placer les visiteurs dans le rôle de “Spect-Acteur” amène à le laisser influencer le cours des choses et à faire évoluer l’oeuvre en temps réel : c’est par l’appropriation de nouveaux canaux d’interaction que l’art s’invite au plus près des visiteurs. Dans ses installations, TeamLab font participer les visiteurs dans leur oeuvre, leur permettant d’influencer les éléments projetés.


Cette proximité avec le public participe à la démocratisation de l’art et à son accessibilité. Les technologies immersives sont capables d’accompagner les spectateurs dans leur appropriation des oeuvres par le biais d’une expérience personnalisées. Cette capacité s’adapte également aux personnes ayant des difficultés d’accès à l’art : que ce soit par des problématiques sensitives, cognitives, ou financière, les technologies immersives mitigent la distance traditionnelle entre le public et l’oeuvre des artistes. Par le biais des expositions VR, accessible en ligne, elle réduit l’éloignement géographique des publics.

De plus, les technologies immersives ont fait évoluer le marché et le commerce de l’art. Par exemple, la plateforme Nifty Gateway met en vente des oeuvres numériques et immersives. L'intégration des technologies immersives dans le marché de l'art, influence les ventes, les collections et les expositions.


Il est indéniable que les technologies immersives transforment l'art en rendant les expériences plus interactives et engageantes, tout en posant des défis techniques et éthiques. Avec la vitesse du progrès technologique de nos jours, comment les innovations pourraient encore transformer davantage l'art immersif ? L'intégration croissante des technologies immersives dans la pratiques artistique va peu à peu estomper l'écart entre observation et participation du public. Il est envisageable que des artistes utilisant des algorithmes et des données pourraient être amené à créer des oeuvres d'art interactive en temps réel.

Il faut aussi se questionner sur le rôles des institutions culturelles. Comment les musées et les galeries s'adaptent et innovent pour incorporer les technologies immersives ? Entre nouvelles approches pour mettre à disposition l'art par des visites numériques, et l'évolution de l'accompagnement de la médiation culturelle, il y a de nombreux moyens de faire évoluer ces institutions et leur approche auprès du public.



Les technologies immersives transforment l'art en rendant les expériences plus engageantes, et cela montre l'importance de continuer à explorer ces nouvelles frontières pour enrichir la créativité et l'expérience artistique. Je vous encourage à prendre part à une expositions immersives et à découvrir par vous-même l'impact de ses technologies sur l'art, et sur la perception que vous en avez. Mettez vos sens à l'épreuve de ces expériences immersives qui vous hâpent et vous plongent dans un univers nouveau, parfois pleins de poésie, ou de revendication. Cela joue sur l'émotion et votre participation dans l'oeuvre est une sensation nouvelle. La technologie ne dévalorise pas le travail de l'artiste qui cherche à vous faire visiter un nouveau monde, elle est un outil qui cherche à estomper, jusqu'à l'effacement, la distance qui vous sépare de l'oeuvre. Vivez l'art.



TeamLab

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